Les maires ruraux se convertissent à la transition écologique

Les maires ruraux ont présenté lors de leur congrès, qui se tenait à l’Alpe d’Huez, du 29 septembre au 1er octobre, les conclusions du grand atelier, une sorte de convention citoyenne des maires pour le climat durant six mois. Un exercice inédit qui a abouti à plus de 90 pages de propositions.

C’est un travail inédit que vient de conclure l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Pas moins de 100 maires ont participé, lors de quatre week-ends entre février et juillet, à un « Grand atelier pour la transition écologique », sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat.

A la tête de communes couvrant 88 % du territoire et 33 % de la population française, les maires ruraux souhaitent être « des acteurs clés dans le tour de table décisionnaire de la planification écologique pour ne pas subir les décisions descendantes de l’Etat qui impacteront leur territoire », explique Fanny Lacroix, vice-présidente de l’AMRF chargée de la transition écologique et maire (Modem) de Châtel-en-Trièves (Isère). « On n’est pas le dernier kilomètre, on est le premier mètre », a insisté Michel Fournier, le président de l’AMRF et maire de Châtel-sur-Moselle (Vosges) lors du congrès de l’association qui s’est tenu à l’Alpe d’Huez du 29 septembre au 1er octobre.

Au moment où l’opposition s’accentue, aussi bien dans la majorité, à droite qu’à l’extrême droite, contre les mesures environnementales comme le zéro artificialisation nette (ZAN), les zones à faibles émissions (ZFE) ou le diagnostic de performance énergétique (DPE), les maires ruraux souhaitent « travailler en amont avec [leur] population sur les conditions de leur acceptabilité », justifie Fanny Lacroix en misant sur le rééquilibrage de l’aménagement du territoire car ce sont les territoires ruraux qui ont de l’espace. « Nous allons avoir un mur énergétique d’ici 2030 et l’éolien terrestre ou le solaire, ce sera forcément chez nous », prédit elle.

 « Un travail très enrichissant »

Grâce à l’aide de nombreux experts comme la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, une quarantaine de partenaires dont l’Agence nationale de la cohésion des territoires et RTE et des témoignages de maires à la pointe de la transition écologique, les maires volontaires de communes de moins de 3 500 habitants ont abouti à un rapport final de 93 pages de pages autour de 3 thématiques (la transition énergétique, les biens communs naturels et les leviers d’action) que la Gazette a pu se procurer. « C’était un travail très enrichissant. On a découvert un tas d’initiatives très originales », témoigne Jean Vaubourg, maire de Bouxurulles (Vosges). « Ça a été assez extraordinaire », confirme Philippe Gourlay, maire de Roussines (Indre).

Le travail n’a pour autant pas été simple tellement la diversité des positions était grande au départ de ce travail. « Parmi nous, il y a des spécialistes et des maires qui ne le sont pas. On a progressé ensemble », raconte Cécile Gallien, la maire de Vorey-sur-Arzon (Haute-Loire). « On est dans le consensus. Par rapport à ce que je pense c’est un peu faiblard mais par rapport à ce que j’entends dans mon département, on a fait un grand pas. On a même parlé de décroissance », se satisfait Jean Vaubourg. « Le risque c’est que nos conclusions apparaissent comme de l’eau tiède mais il y en a qui partent de tellement loin », relativise Philippe Heitz, maire de Burdignes (Loire).

Sur la première thématique « Sobriété, efficacité énergétique et déploiement des énergies renouvelables », l’AMRF réclame que la vision opérationnelle de planification à l’échelle du territoire soit confiée aux communes. Les élus locaux demandent pour cela à l’Etat de mieux former les élus locaux, d’associer les communes à la gouvernance des projets et de renforcer l’accès à l’ingénierie. L’AMRF réclame en particulier un guichet unique de l’ingénierie à l’échelle du département afin que les maires ne soient pas perdus dans les méandres de l’offre territoriale.

L’AMRF défend aussi des projets « à taille humaine » et en parallèle un respect du « pacte républicain ». « Nous ne voulons pas voir dans nos campagnes que des éoliennes, nous voulons aussi des boulangeries, des écoles et des médecins », précise Fanny Lacroix. L’enjeu est aussi de davantage bénéficier des retombées économiques et fiscales des projets liés aux énergies renouvelables avec un meilleur partage de la valeur.

Demande de nouveaux financements

Sur le sujet des biens naturels et des aménités rurales, l’AMRF exige plus de démocratie locale. Elle demande par exemple « un choc de simplification politique de l’organisation de la compétence eau et assainissement ou que la gestion de la forêt se construise à l’échelle des massifs, en concertation avec les acteurs locaux. L’AMRF demande aussi une maîtrise plus forte du foncier agricole afin de pouvoir davantage maîtriser les filières de production, ainsi que la reconnaissance d’une nouvelle compétence « alimentation-santé ».

Mais l’association d’élus avertit le gouvernement : « la préservation des biens communs ne doit pas entrainer une charge de ruralité pour les communes ». Elle propose pour cela que le financement des communes ne soit plus seulement dicté « par le nombre d’habitants » et met sur la table de nouveaux financements (plus de moyens en fonctionnement, la création d’une dotation aménités rurales en plus de la DGF et la redéfinition la redéfinition de la clé de répartition de l’IFER). « 50% de l’IFER doit être attribuée à l’échelon communal », défend Michel Fournier.

Enfin, sur les autres leviers d’actions, l’AMRF estime que la commune rurale doit être reconnue « comme le laboratoire d’expérimentation de la citoyenneté active ».

Ces conclusions ont été salué aussi bien par le sénateur (EELV) de la Loire-Atlantique, Ronan Dantec que par Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires lors du congrès de l’AMRF. « On ne fera pas la planification écologique sans moyen ni sans les territoires », a déclaré Christophe Béchu en qualifiant « d’incroyable » les conclusions du grand atelier devant les maires présents à l’Alpe d’huez. De son côté, Ronan Dantec s’est dit « impressionné par la qualité des propositions qui sont très opérationnelles ». Un avis qui tranche avec les quelques critiques entendus après la présentation des conclusions lors du congrès de l’AMRF. « Ce que j’ai entendu me fait extrêmement peur. C’est le discours des néoruraux qui veulent s’installer dans nos vallées et nous imposer leurs idées », a par exemple critiqué Jean-Pierre Colle, maire de Champoléon (Haute-Alpes) en menaçant de quitter l’association d’élus.

La question qui se pose maintenant est la mise en pratique. « Je ne vois pas comment on ne pourrait pas trouver des amendements transpartisans », estime Ronan Dantec. Fanny Lacroix croit elle à « l’effet boule de neige grâce à des déclinaisons dans des départements pilotes ». Il n’y a plus qu’à.

Publié le 10/10/2023 • Par Romain Gaspar